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Tu as peur de la couleur

Dernière mise à jour : 27 juil. 2023

Je me rappelle très bien cette phrase, que m’avait dit ma professeure d’arts plastiques au collège : « Tu as peur de la couleur ». Nous devions dessiner un paysage avec un arbre, avec pour unique matériel une feuille de papier canson et des pastels gras de toutes les couleurs.



Mon arbre se profilait des racines jusqu’au bout des branches en de longs traits verticaux, légèrement courbes, dans des teintes roses, bleues, vertes. D’autres traits, horizontaux cette fois, esquissaient le paysage en arrière-plan.


Comme à chaque fois, en élève studieuse que j’étais, j’y avais mis tout mon cœur et tout mon soin. Mais voilà. Au moment de me rendre mon travail, ma professeur s’était penchée vers moi, me montrant la remarque écrite au dos et la lisant à voix haute : « Tu as peur de la couleur ».


Elle avait ensuite pris le temps de m’expliquer ce qu’elle voulait dire. Pour cela, elle avait déposé mon dessin sur le rebord du tableau, aux côtés de quelques autres, réalisés par des camarades de classe. De loin, la différence était frappante. Mon arbre, à côté des autres, avait l’air bien pâle, presque effacé. En réalité je n’avais fait qu’effleurer la feuille avec les batôns de pastel, dessinant un paysage en demi-teinte, aux couleurs claires et tendres.


De part et d’autre, des arbres aux couleurs vives et aux traits décidés attiraient l’oeil et captivaient l’attention. C’est ce qui avait fait dire à ma professeure que j’avais « peur de la couleur »… retenant mes gestes, j’osais à peine appuyer sur la craie pour déposer les pigments sur le papier.


Cette leçon, parce qu’elle s’est accompagnée d’une véritable démonstration pratique, ne m’a jamais quittée depuis.


Souvent, il me revient à l’esprit cette phrase enveloppée de poésie et de mystère, « tu as peur de la couleur ». Avec les années et le recul, sondant sa signification, je mesure la profondeur et la justesse de cet enseignement, pour moi, pour ma vie, encore aujourd’hui.


Je revois la jeune collégienne que j’étais, calme et réservée, souvent silencieuse et effacée.


Avais-je peur de mettre de la couleur dans ma vie ?


Avais-je peur de rayonner de toute ma palette de couleurs ?


J’avais certainement intégré qu’en ne m’exprimant pas trop, en ne me faisant pas trop remarquer, je prenais moins le risque de déplaire, d’attirer les critiques et les jugements.


Mais en m’effaçant de la sorte, ma vie avait aussi moins de relief, moins d’éclat.


Moins d’authenticité peut-être aussi.


Parfois encore, quand j’ai peur de m’exprimer, de créer ce qui me tient à cœur, ou de laisser les émotions me traverser, je repense à cette phrase.


Et je me dis que peut-être que oui, en effet, mon chemin est d’apprendre à apprivoiser toutes les couleurs pour ne plus en avoir peur et les laisser animer et enrichir mes expériences de vie.


Mais au-delà de cela, je ressens aussi beaucoup de tendresse pour cette jeune fille que j’étais alors, et qui en exprimant sa douceur à travers ce dessin, sans même en avoir conscience, avait laissé transparaître sa vérité et sa vulnérabilité.

J’ai une profonde gratitude pour cette professeure d’arts plastiques, qui, ce jour-là, bien loin des directives et programmes scolaires, m’a offert une précieuse leçon de vie.

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